Agence nationale de la cohésion des territoires : les recommandations de la Cour des comptes

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Créée le 1er janvier 2020, l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) est un établissement public hybride, à la fois administratif et industriel et commercial. Elle est placée sous la tutelle des ministres chargés de l’Aménagement du territoire, des Collectivités territoriales et de la Politique de la ville, avec une tutelle administrative assurée par la direction générale des collectivités locales du ministère de l’intérieur (DGCL). L’ambition de ses créateurs est de faciliter les projets portés par les collectivités, en déployant des dispositifs de l’État en faveur de la cohésion territoriale et en facilitant l’accès des petites collectivités à l’ingénierie.

En décembre 2022, le président de la commission des finances du Sénat a demandé au Premier président de la Cour des comptes de réaliser un contrôle sur « la mise en place et la viabilité de l’Agence nationale ». Délibéré le 20 septembre 2023, le rapport de la Cour a été transmis au Sénat le 23 novembre 2023. La publication de ce rapport a été autorisée par le Sénat le 14 février 2024, date de l’audition par la commission des finances de Mme Catherine Démier, présidente de la cinquième chambre de la Cour des comptes, de M. Stanislas Bourron, directeur général de l'ANCT et de Mme Cécile Raquin, directrice générale des collectivités locales.

En 2023, l’agence disposait d’un effectif de 407 ETP pour un budget propre de 117 M€ de crédits de paiement. Par son pilotage de programmes nationaux, elle intervient sur des volumes de crédits d’une ampleur beaucoup plus importante, sans en assurer la gestion budgétaire. La plus grande partie de ses effectifs est localisée à Paris, mais des équipes sont présentes historiquement à Lille ou dans les régions d’intervention (les commissariats de massif) qui hébergent pour certains des agents affectés à l’accompagnement des collectivités territoriales en matière d’ingénierie. La représentation de l’ANCT dans les départements est assurée par les préfets, délégués territoriaux de l’agence, qui ont pour mission d’être le guichet unique des collectivités et les garants de la cohérence de l’action de l’ensemble des services de l’État chargés de l’aménagement du territoire.
Sans procéder à un contrôle ou à une appréciation de toutes les politiques publiques et programmes portés par l’agence, la Cour des comptes a examiné, conformément à la saisine du Sénat, le fonctionnement de l’ANCT pour en apprécier la viabilité et les perspectives ; à cet égard, le rapport formule huit recommandations principales.

La complexité de la gouvernance de l’ANCT, héritage d’une gestation difficile.

► La Cour rappelle que la création de l’ANCT repose sur une volonté politique : un retour de l’État dans les territoires et un soutien aux projets portés par les collectivités locales. La loi n° 2019-1190 du 22 juillet 2019 portant création d’une Agence nationale de la cohésion des territoires a été suivie par un décret n° 2019-1190 du 18 novembre 2019 précisant ses règles d’organisation et de fonctionnement.

Pour constituer la nouvelle agence, il aurait été possible de fusionner les organismes de l’État intervenant dans le domaine. Le choix final a été celui d’une mise en réseau des plus importants, la fusion se limitant au Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET), à l’Agence du numérique et à l’Établissement public national d’aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (Epareca). La Cour ne remet pas en cause ce choix, même si les gains attendus de la réunion des trois organismes spécifiques ne sont pas encore établis : la nouvelle structure a encore besoin de stabilité pour déployer son action dans de bonnes conditions.

Le rapport note aussi que la mise au point du projet de l’établissement s’est faite dans des conditions difficiles, contrariée par la crise sanitaire survenue moins de trois mois après sa création, ce qui a freiné sa structuration et le déploiement de son action.

► Un autre défi à relever pour l’ANACT après sa création a été la grande variété des politiques à appliquer.

Dès l’origine, l’agence a assuré le déploiement d’une multitude de programmes nationaux, parfois difficiles à concilier, comme le pilotage de la politique de la ville, les dispositifs en faveur des villes moyennes, des petites villes, de la ruralité et de la montagne, le déploiement du très haut débit, l’accès au numérique, les politiques d’accès aux services publics et le soutien à la création de tiers lieux. L’ANCT est également devenue autorité de coordination pour la gestion des fonds européens. En outre, l’article L.1231-1 du CGCT prévoit une « modulation de son action, qui nécessite une attention particulière aux « territoires caractérisés par des contraintes géographiques, des difficultés en matière démographique, économique, sociale, environnementale ou d’accès aux services publics ».

Une consolidation de l’organisation de l’agence nécessaire pour en assurer la viabilité.

Telle est la ligne directrice qui suit le constat initial.

► L’étendue de ses missions génère une complexité de gouvernance pour l’ANACT. La Cour des comptes relève que d’autres difficultés internes fragilisent l’action de l’agence : « les multiples politiques que l’ANCT doit animer requièrent un accompagnement actif des collectivités ne pouvant être réalisé par ses seuls services, aux effectifs limités et très majoritairement situés à Paris ».

La présence de l’Agence dans les territoires est assurée par les préfets de département. Désignés comme ses délégués territoriaux (L. n° 2019-753 du 22 juill. 2019, art. 4), leur implication – est-il noté dans le rapport - est très variable d’un département à l’autre, ce qui peut induire des différences de traitement entre les territoires. En effet, aucun moyen spécifique n’a été prévu pour les épauler dans cette mission hormis les huit chargés de missions territoriaux. Même s’il est prévu d’en doubler le nombre, le rapport estime qu’ils ne pourront suffire à garantir seuls, le déploiement du soutien en ingénierie « sur mesure » promis lors de la création de l’ANCT.

Un décloisonnement interne est donc proposé pour améliorer l’exercice de ces missions. Les services sont organisés en directions, chacune porteuse d’une ou de plusieurs politiques, travaillant de manière autonome, et souvent en lien direct et exclusif avec chaque cabinet ministériel. Pour la Cour, cette situation n’a pas encore permis la promotion d’une culture commune à l’établissement ni l’homogénéisation des processus de travail et des règles de gestion, axes d’effort identifiés comme prioritaires.

D’autres insuffisances sont aussi relevées en matière de fonctions supports. La Cour relève que les outils dont dispose l’agence sont insuffisants pour piloter les ressources humaines qui doivent faire face à de nombreux départs et à des difficultés de recrutement et de fidélisation. De même, la gestion des systèmes d’information présente des lacunes en matière de pilotage stratégique, de formalisation des procédures et de sécurité.

Une gestion budgétaire et comptable à renforcer

► Sur le plan financier, le rapport souligne que le budget spécifique de l’ANCT (117 M€ de crédits de paiement exécutés en 2022) ne reflète pas l’intégralité des montants financiers des dispositifs sur lesquels elle intervient, dont le total s’élève à plusieurs milliards d’euros, sans qu’un recensement précis et exhaustif soit disponible. Cette faible lisibilité reflète la complexité et la diversité des montages financiers des dispositifs nationaux de cohésion des territoires. La Cour estime que l’ANCT ou ses tutelles devraient être en mesure de rendre compte de l’ensemble des flux financiers qu’elle pilote, même s’ils ne transitent pas par son budget. L’agence devrait notamment pouvoir fournir le document de politique transversale « aménagement du territoire ».

Plus précisément, le budget de l’ANCT comporte deux catégories de ressources : d’abord, des recettes globalisées, complétées en fin d’année et en fonction des besoins, par des conventions de transfert ou des subventions complémentaires versées depuis le budget de l’État. Cet ajout en fin d’exercice, note la Cour, vide de sens la notion de budget prévisionnel et compromet l’élaboration d’une stratégie financière ou la définition de perspectives pluriannuelles. En outre, d’autres recettes sont fléchées vers des dispositifs spécifiques. Le suivi des restes à payer ou de l’emploi des crédits fléchés devrait être systématique et communiqué au conseil d’administration de l’agence.

► Lorsque de nouvelles missions sont confiées à l’agence, le rapport relève que les moyens correspondants, budgétaires comme humains, ne sont pas systématiquement prévus. De ce fait, l’ANCT n’est pas dotée de tous les outils de suivi et d’analyse budgétaire et comptable lui permettant de déterminer avec précision les dépenses et les recettes de chacune de ses missions.

L’ANCT devrait disposer d’une analyse de sa situation financière plus précise qu’actuellement. Ainsi, les activités immobilières reprises de l’Epareca et permettent d’apporter des solutions aux besoins de revitalisation commerciale sans offre alternative privée ou semi-publique. La Cour estime que l’ANCT devrait être en mesure de déterminer le résultat de cette activité immobilière reprises de l’Epareca sur chacune de ses opérations et dans une perspective pluriannuelle ; ces opérations devraient être individualisées dans un budget annexe.

Plus largement, le rapport préconise une nouvelle approche de l’action de l’Etat dans les territoires

► La Cour rappelle que l’ANCT a hérité des organismes qu’elle regroupe de missions de nature très différente comme la politique de la ville, le déploiement du numérique, l’aménagement des centres commerciaux, les politiques en faveur de la ruralité ou de la montagne. Des synergies restent à construire.
Sur le point particulier de l’offre nouvelle de solutions d’ingénierie « sur mesure », pour répondre aux attentes des élus, il est relevé que l’enveloppe spécifique de 20 M€, en 2021, correspond à l’ensemble des dépenses d’ingénierie de l’agence, dont sa participation au programme « petites villes de demain » et des dépenses d’accompagnement d’autres dispositifs nationaux. La part spécifiquement « sur mesure » ne représente qu’environ 6 M€ par an.

Mal connue des élus, sa mise en œuvre dépend de l’implication des services déconcentrés de l’État dans le dispositif.
Par ailleurs, la Cour estime que "l’offre de l’ANCT est insuffisamment articulée avec les autres offres existantes offertes par les départements et parfois par les intercommunalités".

► S’agissant d’un autre champ d’action visé par la création de l’ANCT - celui des villes petites et moyennes et les territoires ruraux (avec une nouvelle approche de l’intervention de l’État dans les dispositifs comme Action cœur de villes, Petites villes de demain ou les Maisons France service), le cadre de ces programmes et leur accompagnement devaient favoriser l’expression de projets construits par les collectivités, avec des financements coordonnés de l’État ou des agences partenaires. Le rapport note que « les premiers résultats obtenus ainsi que l’accueil favorable des élus concernés témoignent de l’intérêt de cette approche, qui devra cependant être confirmée par l’évaluation de ces programmes ».

Comme le soulignait Mme Catherine Démier, présidente de la cinquième chambre de la Cour des comptes lors de son audition, trois enseignements principaux se dégagent du rapport : « Premièrement, la viabilité de l'ANCT requiert une stabilisation de son périmètre et de ses missions … Deuxièmement, la présence de l'ANCT dans les territoires repose largement sur l'appropriation de ses missions par ses relais, à savoir les préfets de département … Troisièmement, l'apport de l'ANCT est d'être un intégrateur des interventions publiques autour de projets de territoire ».

Pour la Cour, la méthode de co-construction dans un cadre contractuel simplifié a rencontré l’adhésion des collectivités territoriales, même si de nombreuses améliorations restent à concrétiser. Face à cette attente, l’ANCT doit désormais accentuer ses efforts pour consolider son fonctionnement interne et la gestion des moyens qui lui sont alloués, tout en renforçant ses partenariats, et en approfondissant ses liens avec ses délégués territoriaux et les territoires dans lesquels elle intervient.

Les huit grandes recommandations du rapport (le rapport de la Cour comporte 50 pistes d'amélioration).

  • Préciser le cadre d’intervention du préfet de département, délégué territorial de l’ANCT, et les moyens qu’il peut mobiliser pour assurer sa mission ;
  • Se doter d’outils de suivi des emplois et de la masse salariale fiables et élaborer une stratégie commune en matière de ressources humaines ;
  • Améliorer les outils de gestion comptable afin de connaître avec précision l’utilisation des crédits fléchés, le coût des différents dispositifs et de permettre un suivi pluriannuel des engagements ;
  • Préciser les dépenses qui relèvent de la subvention pour charges de service public et procéder à un rebasage pour intégrer les conventions de transfert. Évaluer à chaque nouvelle tâche confiée à l’ANCT les moyens humains et financiers nécessaires à son exécution ;
  • Isoler les dépenses et recettes de l’activité d’immobilier commercial dans un budget annexe ;
  • Définir la stratégie informatique par l’élaboration des documents-clés du SI d’ici fin 2024, et par la cartographie exhaustive des moyens en vue d’une rationalisation des ressources et d’un contrôle accru des outils informatiques ;
  • S’assurer de la correcte mise en œuvre de la résilience du système d’information ;
  • Adapter le document de politique transversale « aménagement du territoire » afin de rendre compte des moyens consacrés à chacun des programmes nationaux animés par l’ANCT.

Ces recommandations s’adressent selon le cas à l’ANACT, au ministère de l’Intérieur et des Outre-mer, ainsi qu’au ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique.