L'action récursoire ouverte à la commune contre la faute personnelle d'un maire et ses limites
Un maire qui suspend, en dehors de toute procédure disciplinaire, des subordonnés pour des motifs d’ordre privé commet une faute personnelle détachable de son mandat justifiant l’exercice d’une action récursoire à son encontre. Mais le juge doit déduire la part imputable à la faute de service de l’administration lorsque la mesure a permis d’assurer son bon fonctionnement (CAA Versailles, 25 juill. 2019, nos 18VE00527 et 18VE00528).
Secrétaires du cabinet du maire, deux agents découvrent sur la messagerie de leur élu des vidéos suggestives le mettant en scène. En l’absence de l’intéressé, les deux agents ont averti son directeur de cabinet. À son retour, le maire invite les deux agents à demeurer à leur domicile avec maintien de traitement, avant de les suspendre et de prolonger la mesure plus de 16 mois.
Ayant contesté au contentieux ces décisions, les deux agents se trouvaient réintégrés et la commune condamnée à leur verser au total 26 709 € de dommages et intérêts en l’absence de faute grave de leur part. À la suite de l’alternance de 2014, la nouvelle autorité exécutive adressait en juin 2016 un avis de sommes à payer à son prédécesseur, d'un montant de 73 894 euros, correspondant aux indemnités versées et frais de procédure engagés par la commune.
Contestant le refus du tribunal administratif d'annuler en totalité l'avis de sommes à payer, l’ancien maire attaquait son jugement devant la CAA de Versailles, motifs pris de ce que la copie et la diffusion par les deux agents d'un courriel personnel caractérisaient une faute suffisamment grave pour justifier leur suspension en raison du chantage à l’évolution professionnelle qui lui a été fait et du manquement à leur obligation de discrétion professionnelle en découlant. De plus, l’ancien maire affirmait qu’il avait suivi les conseils des agents de la mairie dans le prononcé de la suspension.
Tout en confirmant le jugement pour le surplus, la CAA décharge la requérante du paiement de 47 435 €. Pourquoi ?
À l’appui de son dispositif, elle rappelle d’abord que si les fonctionnaires ne sont pas pécuniairement responsables envers leurs collectivités des conséquences dommageables de leurs fautes de service, il ne saurait en être ainsi lorsque le préjudice qu'ils ont causé est imputable à des fautes personnelles détachables de l'exercice de leurs fonctions. Or, constitue une telle faute détachable du mandat de maire des faits qui révèlent des préoccupations d'ordre privé, procèdent d'un comportement incompatible avec les obligations qui s'imposent dans l'exercice de fonctions publiques ou, eu égard à leur nature et aux conditions dans lesquelles ils ont été commis, revêtent une particulière gravité. Ce qui est le cas en l’espèce, en l’absence de faute grave avérée des deux agents suspendus.
La Cour confirme ensuite que la commune était fondée à rechercher, par la voie d'une action récursoire, le paiement par le maire des sommes qu’il avait été condamné à verser aux deux agents en conséquence de l'illégalité des arrêtés de suspension.
Mais elle estime, enfin, qu’il relève de l’office du juge d'évaluer la part respective jouée dans la survenance du dommage par la faute personnelle de l'agent et celle du service. Or, ici, les suspensions ont, à ses yeux, également permis d’assurer le fonctionnement normal de l'administration municipale susceptible d'être perturbée par la révélation de l'existence des vidéos compromettantes et au maire de continuer à exercer ses fonctions avec l'autorité nécessaire. D’où le sens de l'arrêt.